jeudi 27 août 2015

Boyhood - critique cinématographique

Richard Linklater, 2014
[Critique datant de juillet 2014]


L’histoire
   Boyhood retrace la vie d’un jeune garçon américain, Mason Jr, de ses 6 à 18 ans. Au programme : les déménagements, la vie amoureuse chaotique de sa mère, les visites de son père, les premières expériences. Entre ses quelques intrigues simples s’intercalent des moments plus contemplatifs, et le film est moins mu par l’action que par le sentiment du  temps qui passe.
   La grande originalité de Boyhood est qu’il a été tourné en temps réel, entre le début des années 2000 et aujourd’hui. Chose quasiment inédite au cinéma, on peut donc observer les évolutions physiques du jeune acteur Ellar Coltrane ainsi que de son entourage, notamment ses parents, interprétés par Ethan Hawke et Patricia Arquette.

Mon humble opinion 
   Partie voir Boyhood avec un apriori positif, je ne peux pas dire que j’ai complètement été séduite par le petit dernier de Richard Linklater.
 
   Je connaissais ce dernier pour avoir vue la trilogie des Before : Before Sunrise (1994), Before Sunset (2004) et Before Midnight (2013). Les trois films retracent étapes d’une histoire d’amour entre deux personnages interprétés par Ethan Hawke et Julie Delpy. Ils se déroulent chacun en l’espace de quelques heures. J’avais trouvé ces films assez sympathiques, même si on pouvait leur reprocher le coté un peu trop sentimental, et des personnages parfois antipatiques. Comme on peut le voir, Linklater est un habitué des films conceptuels parlant du temps qui passe, et il entretient avec plaisir une « famille de cinéma » - Ethan Hawke est au générique de neuf de ses films. 
   Il faut reconnaître à Boyhood qu’il exerce une réelle fascination. Le vieillissement des acteurs, loin d’être un gadget, fait tout l’intérêt du film.
   Au cinéma, le vieillissement est souvent un peu raté. Il peut vous faire décrocher d’un film, même très abouti sous d’autres angles. Parfois l’acteur change aux différents âges, et la ressemblance n’est pas au rendez-vous. Chaque nouvelle incarnation nécessite alors une scène d’exposition, parfois balourde. D’autres fois l’acteur reste le même et le réalisateur doit s’en remettre au maquillage, ou aux effets spéciaux numériques, pour le transformer. Malheureusement, il est rare que le public soit convaincu. (Dans les films récents, je pense à Benjamin Button ou encore à J. Edgar. Avec pourtant de très bons acteurs dans les rôles principaux, ils avaient soulevé leur lot de commentaires déçus dans mon entourage.) Ici, pas de doute, ça fonctionne mieux.
   Mais le choix ambitieux de Linklater n’est pas seulement un écueil évité. A certains moments, j’ai ressenti une réelle émotion au visionnage du film. Il est difficile de ne pas faire des comparaisons avec soi-même ou ses proches au même âge que le personnage, ou de penser à l’évolution qui fût la notre durant les douze dernières années. Peu de films ont un telle puissance évocatrice, et pour cette raison Boyhood, en temps que film conceptuel, est un pari réussi. Il est également agréable de voir de jeunes acteurs interpréter des personnages de leur âge véritable, quand bien souvent le paysage cinématographique est envahi par les lycéens de 25 ans, qui n’ont pas la maladresse touchante de l’adolescence.

   En parallèle de l’expérience conceptuelle, Boyhood est également un film d’apprentissage. C’est un genre qui me touche facilement d'habitude, peut être parce que je suis encore un peu dans la tranche d’âge concernée.
   Malheureusement, cette trame narrative, bien que diffuse, ne m’a pas parue à la hauteur de l’ambition du film. La vie de Mason est largement romancée, et les figures qui gravitent autour de lui manquent souvent d’épaisseur psychologique et d’originalité. On a déjà vu cent fois au cinéma cette mère célibataire débordée mais profondément amoureuse de ses enfants, ce père absent mais cool, ce beau-père alcoolique et violent, ce beau-père alcoolique et antipathique. Il est possible que le réalisateur ait eu peur de perdre le spectateur à cause de sa narration non-conventionnelle, et ait voulu se reposer sur des figures familières. Mais le film fait tout de même deux heures quarante-cinq. La longue durée aurait permis une caractérisation plus subtile, d’autant plus que la performance des acteurs globalement bonne.
   Ici, on touche du doigt la différence entre sentimentalité et sentiments. Les humains sont des machines sentimentales complexes, et l'auteur qui veut les décrire sincèrement doit se lancer dans un gros travail d'observation et de retranscription, chez soi et chez les autres. Il y a matière à s'abîmer dans la contemplation des plus infimes détails émotionnels - c'est par exemple ce que Proust a fait, certes brillamment. Mais quand on a pas le temps, pas l'envie ou pas le talent, il y a toujours moyen de recourir à la sentimentalité : plutôt que d'injecter dans son œuvre des émotions véritablement ressenties, l'auteur utilise alors des clichés. Le public est entraîné a y réagir et a y insuffler l'émotion appropriée, même si fondamentalement ça ne repose pas sur de vraies expériences humaines. C'est pratique de temps en temps, mais si on utilise tout le temps, le produit final s'en trouve considérablement appauvri. (Les romans 'à l'eau de rose', par exemple, reposent exclusivement sur la sentimentalité.)
  
   Et ça, c'est vraiment dommage. L’artificialité des personnages et des situations entre en conflit avec le réalisme troublant du corps des acteurs. Je pense que le film aurait vraiment gagné à avoir une approche beaucoup plus documentaire de son sujet, et il n’en aurait été que plus émouvant. Au bout d’une heure et demie à peu près, la réaction émotionnelle s'amoindrit, et on se retrouve simplement face à une histoire assez rebattue. A force de vouloir écrire une histoire qui parle à tout le monde, Linklater aurait-il réussi à ne parler de personne ?
   Restent les petits clins d’œil aux différentes époques, qui permettent de remettre presque toutes les scènes dans un contexte historique très précis - les petites filles fan de Britney, l’élection d’Obama, les vidéos virales sur internet cette année-là. Il est difficile, cependant, de prédire si ces petites touches contribueront à bonifier le film avec le temps ou à le vieillir prématurément. Pour le moment, je dirais que ça fonctionne suffisamment bien. (Les fans de Medium parmi vous pourront retracer les coupes de cheveux de Patricia Arquette au cours des différentes saisons.)
   On peut aussi noter la photographie qui est assez jolie et qui suit de manière subtile les évolutions de la mode en la matière durant ces dernières années.

    Mon autre problème avec le film, c’est la fin.
   C’est là que ça devient un peu délicat. Mes conditions de visionnage n'ont pas été optimale, il se peut donc que je sois un peu trop sévère. J’avais lu sur la page Allo Ciné du film que Boyhood faisait dans les une heure quarante, et j’avais des choses assez importantes à faire directement en sortant du cinéma. Quand j’ai commencé à trouver le temps long et que je me suis rendue compte que le film aurait du se terminer depuis une demi-heure, je me suis mise à sautiller sur mon siège. J’ai trouvé que sur les vingt dernières minutes, quasiment chaque scène aurait pu être la dernière, et ça m’a d’autant plus agacée que j’étais pressée de sortir.
   Je pense quand même que le film est un poil trop long, et que les fins potentielles sont trop nombreuses. Tous les films n'ont pas besoin d'un gros climax hollywoodien, mais, même sans suivre religieusement le schéma actanciel classique, le travail sur le rythme n'est pas à réserver aux productions décérébrées. 
    En plus, j'ai trouvé que la dernière partie du film est la moins intéressante. Elle se concentre sur la première histoire d’amour de Mason - et sa première rupture. J’ai trouvé le personnage de la petite amie assez raté. De façon choquante à l’aire de l’information, je n’ai pas réussi à trouver l’âge de Zoe Graham qui interprète Sheena, mais je serais très étonnée de découvrir qu’elle a le même âge que son personnage. Elle détonne beaucoup, compte tenu du concept du film (et quand bien même elle aurait vraiment 16 à 18, elle reste un choix de casting discutable). Boyhood aurait beaucoup gagné, je pense, à abréger cette intrigue, d’autant plus que le personnage est assez antipathique.

   Il y a une dernière chose qui m’a un peu déçue, mais je suis prête à reconnaître que ça relève plutôt de la préférence personnelle. Mason a une sœur, d’un ou deux ans son aîné, d’ailleurs interprétée par Lorelei Linklater, la fille de. Comme les autres personnages, elle est assez caricaturale, particulièrement dans son adolescence (cheveux teints, attitude impertinente, etc). Je trouve dommage que le film, qui a profité de deux enfants acteurs, n’aie pas profité de l’occasion pour mettre en regard deux portraits différents, plutôt que d'en reléguer Linklater fille au rang de personnage secondaire. Ça me chagrine d’autant plus que ça m’aurait plu de voir une fille profiter d’autant d’attention qu’un garçon, le genre masculin restant encore aujourd’hui le choix par défaut au cinéma.

   Avec tout ça, je ne suis pas sûre de vous recommander Boyhood. (En tout cas, pas à toi, lecteur idéal qui a exactement mes goûts.) Je vous dirais bien de vous contenter de la première heure et demie, mais je comprend qu’on ait pas envie d'interrompre le film en plein milieu. Je suppose que votre expérience globale dépendra de votre résistance à la sentimentalité et aux rythmes un peu hésitants.

Computations

  Concept 3.5/4
  Histoire 2/4
  Personnages et rythme 1.5/4
  Interprétation  2.5/4
  Direction artistique 2.5/4
     Total 2.4/4

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