dimanche 30 août 2015

Le Parrain - de la postérité des films "culte"

Francis Ford Coppola, 1972
[Article datant d'octobre 2014 mais fortement remanié] 

    Quand, comme moi, on se pique d'avoir une culture cinématographique, il est toujours un peu embarrassant d'avouer qu'on a pas vu tel ou tel film, habituellement considéré comme un incontournable, un "classique". Avant de les voir, j'ai ressenti cet courte honte vis-à-vis de 2001 : l'odyssée de l'espace, Psychose ou encore Citizen Kane. Ces trois-là sont parmi les films ayant tant marqué leur époque et leur médium, que, quand on les découvre tardivement, c'est presque avec une sensation de déjà vu. Les parodies, les hommages, les repompages ont précédé l'original. On l'aborde avec un sentiment de quasi-familiarité.
   Mais le paradoxe du statut de classique ne s'arrête pas là. Bien que leur aura soit entretenue, au cours de décennies, par de nombreux enthousiastes - auteurs et critiques -, il arrive parfois que l'original déçoive. En particulier, j'ai souvent entendu dire, à propos du film d'aujourd'hui, qu'il avait vieilli. Après visionnage, je dirais que ça dépend beaucoup de la façon d'aborder le film.
    Alors, les classiques ont-ils une date de péremption ?


L'histoire


Petits-fours et généalogie

   Été 1945, New York. Le jour du mariage de leur fille, la fête bat son plein chez les Corleone, famille sicilienne traditionaliste. Pourtant Don Vito (Marlon Brando), le patriarche, n'a guerre de temps à consacrer aux festivités. En tant que chef de la plus importante dynastie mafieuse de la région, ou "parrain", il ne cesse jamais d'être sollicité par ceux qui cherchent la vengeance et la protection. La journée de Don Vito s'éclaire à l'arrivée de Michael (Al Pacino), son troisième fils, qui rentre du front.
   Contrairement à son frère ainé, Sonny (James Caan), Michael n'a aucune envie de reprendre les affaires de son père, bien qu'il lui porte une immense affection. Il souhaite vivre dans la légalité, et adopter des mœurs plus modernes - il fréquente librement une américaine, Key Adams (Diane Keaton). Cependant, à la suite d'un différent avec les Tattaglia, une famille rivale, Don Vito est abattu en pleine rue. Désireux de protéger son père hospitalisé, puis de le venger, Michael, décide de s'impliquer dans les opérations menées par Sonny.
  Tandis que le nombre de victimes augmente des deux cotés, et que Don Vito décide de prendre sa retraite, Michael prend une part de plus en plus importante dans la politique familiale.


Le mythe


LE parrain

   Même quand on n'a jamais vu Le Parrain, il est rare d'être tout à fait passé à coté des moments les plus iconiques du film. Qui n'a jamais vu personne imiter Brando, la mâchoire en avant, parler "d'une offre qu'on ne peut pas refuser" ? Qui peut s'empêcher de fredonner quand résonne l'excellente bande originale composée par Nino Rota ? Il est difficile de nier l'influence du film de Francis Ford Coppola sur le genre du thriller mafieux.
   Par exemple, Breaking Bad, la série la plus récompensée aux Emmy en 2014, présente de nombreuses parentés conceptuelles, et même stylistiques, avec Le Parrain. Dans les deux cas, on assiste à la transformation d'un homme qui se perçoit initialement comme fondamentalement bon et pacifique, mais devient un caïd redouté, à la suite de circonstances et de choix plus ou moins malheureux. Michael Corleone et Walter White ont, entre autres, des rapports comparables à leur famille, qu'ils affirment protéger en leur mentant et en les faisant parfois souffrir.
    Le Parrain et Breaking Bad, en marge de leur qualité artistique intrinsèque, ont un peu le même genre de popularité auprès des adolescents. C'est notamment grâce au merchandising, qui a tendance à gommer le message subversif des deux œuvres (une chronique de la déchéance et un avertissement contre la tentation de la violence et de la vengeance) en mettant en avant le coté cool et rebelle de la figure du criminel.

   Mais l'influence du Parrain ne se limite pas même aux autres œuvres de fiction. Mario Puzo, auteur du livre dont est tiré le film, et coadaptateur de la version cinéma avec Coppola, a reconnu qu'il n'avait pas de lien personnel avec la pègre. Les pratiques du milieu, telles qu'il les a décrites, sont issues de son imagination. Mais dans son essai de 2009, Codes of the Underworld: How Criminals Comunicate, Diego Gambetta dévoile que de nombreux mafieux de la vie réelle s'inspirent des pratiques présentées dans le film. En effet, les criminels évoluent dans un milieu violent et par nature anarchique. L'utilisation de codes créant une culture uniformisée au sein de la pègre (les têtes de chevaux et autres poissons dans du papier journal étant des symboles compris par tous) serait un moyen commode de maintenir un semblant d'ordre, salutaire aux individus.
   Une nouvelle preuve, s'il en fallait une, que souvent la fiction déborde sur la réalité.


Une brève histoire du Nouvel Hollywood et du film d'action

Cherchez l'intrus

    Remettons le film dans son contexte. Après la seconde guerre mondiale et pendant une vingtaine d'année, les cinéma de studio américain connait un âge d'or. Les grands réalisateurs de l'époque (Ford, Capra, Wilder, Hitchcock...) travaillent sous la houlette des grosses maisons hollywoodiennes. Leur reconnaissance critique, si l'on considère par exemple les projets récompensés aux Oscars, va de paire avec leur succès populaire. Mais dans les années 60, ce modèle est en perte de vitesse. Les studios peinent à se renouveler et à suivre les évolutions de la société, et le phénomène contre-culturel entraîne une méfiance accrue envers les institutions, fussent-elles cinématographiques.
   Entre en scène une nouvelle génération de réalisateurs, inspirés par le cinéma européen : c'est le 'Nouvel Hollywood'. Parmi les petits jeunes qui débutent, on croise Scorsese, Spielberg, Lucas et, vous l'aurez compris, Coppola. Ceux-là se proposent de renouveler l'exploit de la génération précédente, en proposant des films exigeants mais populaires. Ils souhaitent mettre en avant, non pas la marque de fabrique d'un studio, mais celle d'un réalisateur-auteur. Et ça marche ! Le Parrain est le film le plus rentable de l'année 1972.
   Cependant, malgré une arrivée fracassante, le Nouvel Hollywood est de courte durée.

   En 1969, George Lucas et Coppola fondent ensemble une société de production, American Zoetrope. Mais une décennie plus tard, il commence à être évident que cette association repose d'avantage sur l'affection que se portent les deux amis que sur une vision artistique commune. En 1979 Coppola signe Apocalypse Now, un film exigent, éprouvant et jusqu'au-boutiste si jamais il en fut. Il remporte la Palme d'Or au Festival de Cannes, une compétition réputée plus élitiste que les Oscars.
   L'année suivante, Lucas présente le second volet de Star Wars, trilogie qui contribue a établir pour longtemps les canons du film de divertissement grand public. Plus producteur que réalisateur, Lucas confie la réalisation du Retour du Jedi à un autre (c'était déjà le cas pour l'Empire contre-attaque) et ne retouche plus à la caméra avant La Menace fantôme. De son coté, Coppola se ruine avec l'échec de Coup de Coeur qu'il a produit avec ses deniers personnels et, s'il retournera plusieurs fois derrière la caméra, se sera presque dans une position d'outsider.
   Dans les années 80 et 90, le cinéma d'action évolue sous l'influence d'une nouvelle génération de réalisateurs tels que John McTiernan, Ridley Scott ou James Cameron. Même si on aurait tord de taxer ses derniers d'exécutants sans vision artistique (surtout à leurs débuts), c'est à cette époque que le cinéma de genre et d'action cimente sa réputation de pur divertissement. C'est notamment parce que les studios, retrouvant leur place centrale dans la fabrication de ces films qui coûtent de plus en plus cher, considèrent d'avantage le cinéma comme un produit de consommation que comme une œuvre d'art. De nos jours, malgré quelque réalisateurs un peu hybrides comme David Fincher ou Christopher Nolan, le fossé stylistique entre film d'auteur et film de genre semble plus infranchissable que jamais dans l'esprit du grand public.


Représenter la violence

   Il est difficile de nier que, pour le spectateur non-averti, le rythme du Parrain est un peu daté. Celui qui vient chercher un film à popcorn, rempli de fusillades et de répliques cultes, risque immanquablement d'être déçu. Mais je pense qu'il ne s'agit pas simplement d'une distorsion culturelle entre 1972 et le présent.

   Analysons la scène où Sonny vient casser la gueule à Carlo, son beau-frère, parce qu'il bat sa femme.
   Pour l'essentiel, l'action est filmée de loin, à la longue focale, ce qui produit un effet d'écrasement des acteurs sur le décor. Les personnages courent vers l'objectif sans que cela produise de changement significatif dans la composition, donnant à l'action une impression de futilité. Plus tard, Carlo s'est réfugié derrière une grille d'entresol, mais Sonny l'a rattrapé et le roue de coups. La scène est toujours filmée de loin, et une grande partie du cadre est occupée non pas par les combattants mais par le public amassé autours d'eux. L'action elle même est dissimulée, d'abord par la grille, puis une poubelle renversée, puis une bouche d'incendie. Quand, parfois, on passe au gros plan, c'est pour montrer Carlo s'accrochant pathétiquement à la grille, et Sonny lui mordant les doigts pour le faire lâcher.
    Peut être le film a-t-il choisi de ne pas être spectaculaire ?


La bagarre

  On peut voir dans ces choix de mise en scène une simple concession au réalisme. Après tout, le film se veut une chronique des transformations du milieu mafieux dans l'immédiat après-guerre. Le style documentaire paraît un choix judicieux pour appuyer le sérieux du propos.
   J'irais plus loin, cependant. Mon analyse est que cette scène doit être interprétée, non comme une ode à la violence des personnages, mais une condamnation par le ridicule. Le film comporte plusieurs scènes de fusillade, desquelles on retient surtout la brièveté, l'effondrement pathétique des corps et la lâcheté des tireurs, dont, souvent, on voit à peine le visage. Dans Le Parrain, la violence déshumanise les personnages, et ses conséquences sont réelles.


   C'est également sensible, je trouve, dans un des autres thèmes du film, à savoir la place des minorités et des femmes dans l'univers des gangs.
   Les plus attachés à l'idée de représentation trouveront, certes, à redire. Le casting est à 100% blanc, et je ne suis pas apte à savoir dans quel mesure le milieu décrit était réellement imperméable aux personnes de couleur. Mais on peut noter que le film se déroule à une époque où l'on observe encore beaucoup de racisme entre les immigrés originaires des divers pays européens. L'Italie de faisait pas exception, et les catholiques Italo-Américains étaient souvent considérés comme inférieurs par les WASPs. D'une certaine façon, le film se déroule donc du point de vue d'une minorité. (Il est intéressant que l'Irlando-Allemand Tom Hagen, consigliere des Corleone, soit une minorité au sein de la minorité.)
   Et c'est une des façon dont les personnages justifient leurs actes : le terme de "cosa nostra" est parlant. La mafia se perçoit autant comme un réseau de solidarité entre immigrés siciliens que comme une organisation criminelle. Lors de la toute première scène du film, un petit boutiquier demande à Don Vito de tuer les voyous qui ont agressé sa fille, car il estime que les tribunaux réguliers ne lui ont pas suffisamment rendu justice. Les immigrés ne se sentent pas à leur place dans la société américaine, alors ils créent un état dans l'état.


Key a comme un doute

  Cela nous amène à la place des femmes, qui clairement est sordide. On pourrait y voir quelque chose de sexiste, car les personnages féminins n'existent quasiment que pour êtres battus, abandonnés, utilisés. On pense au sort tragique d'Appolina, victime collatérale d'un attentat visant Michael, ou à Connie la femme battue, qui est un ressort narratif dans le scénario, autant qu'un outil dans les manigances des gangsters. Mais le film ne glorifie jamais les auteurs de cette violence. Dans Le Parrain, les femmes sont des victimes collatérales d'un milieu devenu fou.
   Personnellement, ça ne me satisfait pas complètement. Je pense qu'il est toujours possible de mettre en scène des personnages féminins dynamiques et intéressants, même dans les milieux les plus sordidement machistes. Mais c'est un équilibre délicat - parce que je ne pense pas qu'embellir les choses soit vraiment une excellente idée, sur le long terme. Ça demande pas mal de temps d'écran, donc je peux comprendre que le sujet ne soit abordé que de façon périphérique.

   On peut tout de même noter que Key Adams est un des rares personnages qui reste sympathique du début à la fin du film - et la seule femme sexuellement libérée. C'est également elle qui sert d'avatar au début du film, quand elle découvre les Corleone, et à la fin, quand elle réalise à quel point Michael a changé. (Nous sommes donc encouragés à nous identifier à une femme, ce qui est toujours une bonne façon de normaliser la présence féminine.)


Un film vieilli ?


Les années 40 vues par les années 70 : le style

   La photographie de Gordon Willis, il est vrai, porte la marque des années 70. Les couleurs dominantes sont chaudes et sombres, donnant au film un rendu tirant vers le sépia, qui est sans doute passé de mode. (Même Jeunet utilise plus le jaune que le brun.) Il faut dire aussi que le film se déroule vingt-cinq ans avant l'époque de son tournage. Personnellement, j'aime beaucoup le rendu des images, qui permet au spectateur de s'immerger dans un univers violent, parfois mal éclairé, empesé par le poids de la tradition. Mais c'est sans doute un élément qui peut être décourageant pour un hypothétique jeune spectateur, qui serait plus habitué au schéma de couleur dominant des années 2010, dominé par des contrastes bleu/orange violents.

  A vrai dire, un des rares éléments techniques qui me fassent sortir du film, ce sont les fondus enchaînés. Je suis très partiale à ce sujet : c'est une technique de montage que je trouve laide et inutile 99 fois sur 100.
   La scène du lever de soleil sur la villa Woltz, malgré qu'elle fasse partie de celles qui sont devenues iconiques, ne fait pas exception. Les Corleone ont résolu de se venger d'un réalisateur qui a refusé de faire tourner un de leurs protégés, mais on ignore encore quelle sera la nature de la rétribution. C'est l'aube. Durant près d'une minute, la caméra s'attarde sur la villa du réalisateur-millionnaire : la piscine, les écuries, le mauvais goût. La lumière rasante et la musique inquiétante font monter le suspense, et le spectateur anticipe le spectacle macabre auquel il sera bientôt confronté. Toutes les transitions de plan à plan sont faites en fondue enchaîné.
   Le fondu est un effet de montage qui donne une sensation de temps qui passe. Entre deux scènes, il indique qu'un certain temps a passé, là où le cut simple est plus ambivalent. Néanmoins, dans la scène que nous étudions, il ne peut pas s'être écoulé plus de quelques minutes entre chaque plan, vu que le lever de soleil donne au spectateur une mesure objective du temps qui passe. Je pense que l'effet voulu est un peu onirique, mais cela me semble redondant car le décor, la lumière et la musique font déjà ça très bien.
   Je pense que des cuts simples aurait été beaucoup plus efficaces, et qu'ils auraient moins vieilli. Selon moi, le vieillissement se produit quand le réalisateur cède au goût particulier d'une époque, plutôt que de faire un choix cohérent dans la logique interne du film. (A l'heure où j'écris ces lignes, la caméra tremblotante semble déjà avoir passé son moment de gloire, pour le bonheur de tous.) Heureusement, les fondus ont tendance à disparaître du film, et la seconde moitié en est quasiment exempte. C'est d'autant plus dommage que la scène incriminée arrive tôt dans le film. Sans doute fait-elle une impression qui dure. Pas de quoi, tout de même, se mettre à tout bouder.


En résumé, mon humble opinion


Crowning moment of badassness

  Le Parrain, ce chef d'œuvre.

    Le film réussit le pari d'être une adaptation littéraire fidèle. La contribution de Mario Puzo a certainement aidé, mais la participation de l'auteur du livre original n'est pas nécessairement un gage de réussite (si vous avez vu Ender's Game, vous savez de quoi je parle). C'est en temps que roman visuel que Le Parrain livre toute sa puissance narrative, prenant son temps pour explorer plusieurs sous-intrigues. Les choix des personnages, leurs causes et leurs conséquences trouvent leur sens dans un univers aux codes profondément ancrés, et richement décrits. La durée du film permet à Pacino, dont l'interprétation est impeccable - tout comme celle de Brando -, de représenter l'évolution de son personnage de façon naturelle et crédible. Cette durée permet, surtout, de donner à histoire un souffle épique, loin de la série d'anecdotes sordides que pourrait être une guerre des gangs.
   Outre son scénario et ses acteurs, Le Parrain peut s'enorgueillir d'une réalisation de premier ordre. Coppola maîtrise magistralement le découpage, et le film est truffé de plans aussi efficaces qu'iconiques, sans devoir recourir au montage clipesque de celui qui a constamment peur de perdre l'attention du spectateur. (N'est-ce pas, Michael Bay ?) Le réalisateur prouve sa maîtrise du langage cinématographique dans un style emprunt de classicisme, tout comme il prouvera qu'il peut dynamiter les codes, sept ans plus tard, dans Apocalypse Now.

  Pour ceux qui sont effrayés par la longueur, je pense qu'il est possible de le regarder en plusieurs fois sans le trahir. C'est un conseil que je donne rarement, mais pour Le parrain, je fais une exception. Sa structure, issue du livre, permet de découper le film en deux ou trois parties sans détruire l'impact émotionnel des scènes clés, et il peut se regarder comme une mini-série.
  Si on cherche un film d'action pulp et survolté, on sera clairement déçu. Mais si on cherche une fresque romanesque et épique, d'une grande justesse émotionnelle, servie par des acteurs, un réalisateur et un compositeur au meilleur de leur forme, on ne pourra qu'être d'accord avec moi : Le Parrain n'a pas pris une ride.


L'instant mathématique
  Réalisation 5/5 biatch
  Direction artistique 4/5
  Jeu d'acteur 4.5/5
  Scenario et découpage 4.5/5
     Total 4.5/5

vendredi 28 août 2015

Le bossu de Notre-Dame - critique cinématographique

Gary Trousdale et Kirk Wise, 1996
[Critique datant d'août 2014]

L'histoire
   Paris, fin du quinzième siècle. Le juge Claude Frollo, convaincu de sa supériorité morale et inflexible jusqu'à la cruauté, fait régner l'ordre dans la ville. Ses foudres s'abattent tout particulièrement sur la communauté des gitans, qu'il rend responsables de tous les maux de la société parisienne, et en particulier ses mœurs décadentes, réelles ou supposées. (Comme quoi, ça ne date pas d'hier.) Par une nuit froide, il tue accidentellement - ou pas - une gitane sur les marches de Notre-Dame. Cette dernière laisse échapper le nouveau-né qu'elle tenait dans ses bras. Frollo s'apprête à noyer l'enfant, affligé de malformation. Mais l'archidiacre de Notre-Dame, qui a assisté à la scène, lui fait honte et le convainc d'élever le petit garçon, à l'abri des murs de la cathédrale.
   Vingt ans plus tard, Quasimodo, ainsi baptisé par son père adoptif, est devenu le sonneur de cloches de Notre-Dame. Il vit reclus, mais ne rêve que d'une chose : descendre se mêler à la foule le jour du carnaval. Contre l'avis de Frollo, il finit par sauter le pas. D'abord élu roi du carnaval en raison de sa hideur, les choses tournent au vinaigre quand la foule décide qu'elle préfère faire de Quasimodo son souffre-douleur. Une personne lui vient heureusement en aide : Esmeralda, gitane d'une très grande beauté et acrobate hors-paire. Ce faisant, cette dernière s'attire les foudres de Frollo et doit se réfugier dans la cathédrale. Elle y est poursuivie par Phébus, le jeune et beau capitaine des gardes, qui préfèrerait entretenir avec elle des rapports beaucoup plus pacifiques. En désaccord avec la politique de Frollo, le jeune homme convainc Esmeralda de demander asile à Notre-Dame.
   Frollo est donc impuissant à faire exercer son autorité. Sa colère et sa confusion redoublent quand il réalise qu'il est également attiré par la gitane.

Mon humble opinion
   Il y a peu de gens qui placent ce film parmi leurs Disney préférés. Le Bossu n'est pas, il est vrai, la réalisation la plus aboutie des studios. Certaines maladresses lui interdisent sans doute le panthéon des incontournables - et il faut déjà que l'on considère que certaines productions Disney méritent ce titre. Mais, un peu à la manière d'un Dragons 2, c'est un film dont les intentions et les parti-pris me touchent par delà des choix discutables. Voici pourquoi.

   Il faut replacer le film dans son contexte historique. Les années 90 correspondent à ce qu'on appelle la "renaissance disneyenne", ou encore "l'âge d'argent de l'animation américaine". Après les années 50 et 60 qui sont considérées comme l'âge d'or du médium, et la mort de Walt Disney lui-même en 1966, la qualité et la quantité des films produits par le studio est généralement considérée comme décroissante. Disney produit des titres plus oubliables, tels que Bernard et Bianca (1977), Rox et Rouky (1981), Taram et le Chaudron Magique (1985) ou Oliver et Compagnie (1988). Tous les films de cette période ne sont pas bons à jeter - personnellement j'apprécie Basile, Détective Privé (1986) - mais il faut reconnaitre que sans le maître, le studio cherche sa direction artistique.
   Le succès, financier autant que critique, reprend à partir de La petite sirène (1989) ; le film bénéficie, certes, d'un budget plus conséquent que ces prédécesseurs. A partir de cette date s'enchaîneront plusieurs hits tels que La belle et la bête (1991) ou Aladin (1992), le point culminant de la période restant le succès du Roi lion en 1994.
   Mon analyse est que, enhardis par leur succès du début des années 1990, les responsables de Disney ont voulu s'attaquer à des projets encore plus ambitieux. Le roi lion, déjà, tirait son inspiration, non pas d'un des Contes d'Andersen ou des Mille et Unes Nuits, mais de Shakespeare. Cependant le déplacement de l'intrigue d'Hamlet de la cour du Danemark à la savane africaine, et les libertés inévitables prises avec le matériau d'origine, rendent la référence assez difficile à identifier, surtout pour des enfants. Après s'être attaqués à l'Histoire, la vraie, avec Pocahontas en 1995 (film que je trouve assez mauvais pour des tas de raisons techniques, et qui est de plus éthiquement problématique), le studio Disney tente l'adaptation directe d'un classique de la littérature : Notre-Dame de Paris, écrit par Victor Hugo en 1831.

   Sur le papier, l'adaptation animée d'un roman tel que celui-là est un projet très excitant. Les artistes de chez Disney - contant comme souvent parmi les meilleurs de la profession - nous offrent une description plutôt réaliste d'une période qui leur sert souvent d'inspiration dans leurs contes de fées. (Je pense par exemple à La belle au bois dormant (1959) ou à Robin des Bois (1973) dont l'intrigue est déplacée au quinzième siècle.) Les environnements sont très beaux : on s'immerge avec plaisir dans les ruelles crasseuses de Paris, surmontées par la majestueuse cathédrale et l'inquiétant palais de justice. La mise en lumière des décors est particulièrement réussie, maintenant le film dans une ambiance crépusculaire tour à tour propice à l'introspection, à la mélancolie, au drame.
   Je ne suis pas spécialiste de la période, mais la seule concession au réalisme que j'ai repérée est le fait que l'intérieur de Notre-Dame n'est pas peint : je ne sais pas si l'équipe artistique l'ignorait ou s'ils ont jugé que ça serait trop déroutant pour le spectateur, mais ça aurait pu rendre quelque chose de chouette. Mais bon, sur ce coup-là, je coupe les cheveux en quatre.
   Le design des personnages, plus réaliste également que la moyenne des films de l'époque, est bon, même si ma préférence va vers le trait plus stylisé d'un Mulan (1998).

   Bien sûr, l'intérêt du Bossu de Notre-Dame ne réside pas que dans son univers visuel. Le drame qui se joue à huit mains entre Quasimodo, Frollo, Esmeralda et Phébus, est, selon moi, un des plus intéressants que Disney nous ait jamais proposé.
   Je sais que le concept et la dynamique des personnages viennent de Victor Hugo. Mais il faut reconnaître que les réalisateurs du film ont pris un vrai risque en adaptant ce roman plutôt qu'un autre. Pour tout dire, ça fait bien longtemps que j'ai lu Notre-Dame de Paris, et en plus il me semble que c'était dans une version abrégée. Je n'ai donc pas bien le roman en tête et je ne peux pas critiquer le film en tant qu'adaptation littéraire. Je me contente donc de reconnaître une fois pour toute la responsabilité de Victor Hugo dans les grandes lignes de l'intrigue, et m'en retourne analyser le film en tant qu'œuvre indépendante.
   Dans de nombreux film Disney, la romance tient un rôle important, mais son déroulement est plutôt basique : la fille rencontre le garçon, tous deux sont jeunes et bien de leur personne. Bien souvent, ils tombent amoureux au premier regard, même si certaines circonstances viennent perturber cette attraction, et donner une intrigue au film. Ce schéma de base, et ses quelques subventions les plus évidentes, résument à eux seuls la quasi-intégralité du genre de la comédie romantique. S'il y a une troisième partie, presque toujours masculine, elle est souvent peu menaçante sur le plan sentimental, et bien vite évacuée par le scénario.
   Dans le Bossu, Esmeralda est convoitée par trois hommes, dont deux sont sympathiques au yeux du spectateur : Quasimodo, rêveur au grand cœur malgré sa difformité, et Phébus, qui se révèlera courageux et doué d'un grand sens moral. Cela signifie qu'au moins un des deux sera déçu, et à travers lui le spectateur, rendant la perspective d'un happy end plus incertaine. Ça peut sembler assez trivial, mais à l'époque de mon premier visionnage, dans les salles en 1996, ça m'avait beaucoup déstabilisée. J'étais persuadée qu'Esmeralda allait finir avec Quasimodo : c'était le protagoniste, après tout. Dans 99% des films que j'avais vus jusqu'alors, le héros, malgré ses difficultés, séduisait finalement la fille de ses rêves. Habituée que j'étais aux messages sur la différence et la tolérance (très fréquents dans les années 90, si vous vous souvenez), je ne doutais pas que la laideur de Quasimodo puisse être oubliée. Il n'en fut rien, car Esmeralda choisit Phébus.

   Vous remarquerez que jusqu'à présent, j'ai évité, pour décrire les sentiments des personnages du Bossu, de parler d'amour. C'est un des trucs qui m'a le plus frappée quand j'ai revu le film, pour la première fois, à l'âge adulte : ce film parle de sexe. Pas explicitement, bien sûr. Disney abordera le sujet frontalement quand les cochons voleront. Mais de tous les films du studio, celui là est de loin le plus proche de le faire.
   C'est au travers du personnage de Frollo que c'est le plus évident. Gardien farouche de la vertu, haïssant le péché et le pécheur, son univers mental tombe en morceaux quand il voit une jeune bohémienne danser sensuellement, et, quelques minutes plus tard, tandis qu'il tente de l'entraver, respire le parfum de ses cheveux. Dit comme ça, ça peut paraître un peu fleur bleue, mais la séquence est étonnamment poignante dans la mise en scène et dans le jeu du personnage. Quelques minutes plus tôt, la tension sexuelle entre Phébus et Esmeralda était déjà palpable.
    On peut également noter que la première fois que Quasimodo rencontre Esmeralda, c'est en entrant par inadvertance dans sa loge. La jeune femme est alors à moitié nue. Même si elle se couvre avant que le spectateur aie le temps d'apercevoir quoi que ce soit de son intimité, on se doute que pour Quasimodo, qui n'a jamais vu de femme de près, l'expérience est formatrice. Il y a aussi les nombreux symboles phalliques : épées, chandeliers, torches, gargouilles. Je sais que parfois un cigare est juste un cigare, mais dans ce cas précis, l'analyse freudienne me parait avoir du sens.
   C'est d'autant plus couillu de la part de Disney, si je puis dire. De même que dans ma critique, le mot d'amour n'est jamais sur les lèvres des personnages - on discute attirance, affection, tentation. Bien sûr à 8 ans, je suis passée au travers de tout ça. Mais pour un spectateur adulte, à moins d'être trop persuadé de l'innocence de Disney pour tirer des conclusions logiques, c'est plutôt évident.

   Du point de vue scénaristique, le choix de le pas transformer la tension sexuelle en tension amoureuse prend tout son sens.
   Combien de fois a-t-on roulé des yeux, dans un film, quand un couple se rencontre le matin, se jure fidélité éternelle dans l'après-midi et se marie le soir, en grande pompe ? Si on admet que Phébus et Esmeralda sont a un stade précoce de leur relation, qui se base encore sur l'attirance physique et sur des valeurs communes, leurs interactions paraissent justifiées et naturelles. Ils appartiennent tous deux à des catégories de populations susceptibles de pratiquer l'amour libre. Par ailleurs, la découverte de leurs libidos respectives justifient très bien que Quasimodo et Frollo, soit placent la gitane sur un piédestal, soit la considèrent comme l'incarnation du diable. Globalement, les interactions entre les quatre personnages principaux m'ont frappé par leur crédibilité, si on les compare aux autres production du même type.
   J'ai déjà entendu reprocher aux personnages de ce film une certaine fadeur, particulièrement Phébus et Esmeralda. Compte tenu du ton du film, ça me parait assez injuste. Certes, tous n'ont pas une évolution spectaculaire. Esmeralda reste plus ou moins la même tout le long du film. Phébus, s'il décide à mi-film de se rebeller contre Frollo, choisit d'exprimer des convictions personnelles déjà présentes au début de l'histoire. Mais le film dure un peu moins d'une heure vingt et parait se dérouler en quelques jours. Il aurait sans doute paru très artificiel que tous les personnages effectuent des virages à 180°. Phébus et Esmeralda sont des gens bien, qui confrontés à des circonstances difficiles prennent les bonnes décisions, et ce en évitant un ton trop moralisateur (un peu parfois, mais ça pourrait être tellement pire). C'est suffisamment rare pour être signalé, en particulier dans les films destinés à un jeune public.
    Esmeralda, par ailleurs, se voit hissée au rang de mes 'princesses Disney' favorites. (D'accord, techniquement ça n'est pas une princesse. Mais elle ne serait pas la seule à usurper le titre.) Sa personnalité est forte et indépendante, sans tomber dans le cliché de la princesse rebelle. Elle sait être gentille sans être niaise : on sent que Quasimodo, au début, la met mal à l'aise, ce qui est d'une honnêteté rafraichissante. Elle a de nombreux talents, allant de la danse du ventre au maniement basique de l'épée en passant par la prestidigitation. Si elle se case avec Phébus, ce n'est pas dans une recherche monomaniaque du grand amour, mais parce qu'il est là et qu'elle en a envie. Certes, il est toujours un peu problématique qu'un film ne présente qu'un seul personnage féminin significatif, mais on peut sans doute blâmer l’œuvre originale sur ce point. À tout prendre je trouve qu'Esmeralda reste meilleur role model que beaucoup.

   Venons en à notre héros, Quasimodo. Il ne me parait pas être le personnage le plus intéressant. Sa timidité et sa réserve rendent parfois ses scènes un peu poussives, et il embrasse un cliché un peu rebattu, l'outcast. Mais les leçons qu'il apprend son intéressantes et sortent un peu du lot. Là où de nombreux films jeunesse nous enseignent qu'avec de la volonté on peut tout faire, Quasimodo apprend à se battre pour ses convictions et à trouver sa place dans la société, même si ce n'était pas celle qu'il convoitait au départ.
    Le personnage le plus intéressant est Frollo. De nombreux méchants Disneyens de cette époque cherchent a obtenir le pouvoir (Scar, Ursula, Shan-Yu), Frollo cherche à le conserver. Socialement, il ne peut pas espérer monter plus haut. Pourtant, dés le début du film, sa cruauté trahit son insatisfaction. Ses conflits proviennent de démons intérieurs. Je sais que ça n'est pas vraiment une nouveauté cinématographique, mais c'est le type d'antagoniste qui m'a toujours le plus satisfaite. De plus, dans le cadre disneyen, il reste rare que les motivations du méchants soient aussi subtiles et détaillées. La scène de la cheminée, monologue où Frollo explique sa passion tragique pour Esmeralda, est sans doute la meilleure du film.
   En aparté, une question demeure. Il n'est pas très clair, dans le film, si Frollo est condamné au célibat par ses convictions personnelles ou par sa fonction. D'ailleurs, cette dernière est également assez survolée, et j'avoue que je ne suis pas sûre de ce qu'il est sensé faire dans la vie. On le présente comme juge, mais dans le roman il me semble que c'est lui l'archidiacre, ce qui en fait également un prélat. Si l'un d'entre vous avait la bonté de m'éclairer sur ce point, je lui en serait reconnaissante.

   Avec tout ça, on se demande donc comment Le bossu de Notre-Dame à pu à ce point passer à coté de son public. La raison me parait simple : je pense que le film ne s'adresse pas aux bonnes personnes. Toutes les choses dont j'ai parlés plus haut, et qui m'ont plu, sont les éléments les plus adultes du film. Les enfants passent à coté de la tension sexuelle entre les personnages. Ils peuvent, comme s'était mon cas, éprouver de la confusion à la résolution des intrigues amoureuses. Enfin certains passages sont assez choquants : la mort violente de Frollo, la plupart des scènes décrivant les activités professionnelles de ce dernier, ou encore la séquence où la foule torture Quasimodo, dont le rythme cauchemardesque flirte avec l'esthétique de Jérôme Bosch.
   Pour rendre un peu de légèreté au film, les réalisateurs ont choisi, comme à chaque fois, d'ajouter des sidekicks comiques : Djali, la chèvre domestique d'Esmeralda, et surtout Victor, Hugo et Laverne, les gargouilles vivantes de Notre-Dame (leurs noms ne sont pas des références aussi directes en version française). Si la chèvre est relativement inoffensive, les gargouilles détonnent beaucoup avec le ton du film. Leur humour référencé et anachronique n'est pas sans rappeler celui du génie d'Aladin, mais là ou ce dernier était une des forces du film, les gargouilles font tâche. Je trouve leur design assez raté, et elles ne sont pas drôles. Plutôt que de détendre l'atmosphère, elle viennent simplement ruiner le ton plus sombre des séquences précédentes.
   Il est sous-entendu que les gargouilles ne sont pas vraiment vivantes, mais issues de l'imagination de Quasimodo. Il est vrai qu'elles ne se manifestent qu'à ce dernier, à part dans à l'occasion de petits gags qui peuvent se lire au sens métaphorique. A la base, ça me semble être une bonne idée. Ce dispositif permet au bossu d'avoir quelqu'un a qui expliquer ses enjeux, la figure traditionnelle du confesseur au théâtre. De plus, un des motifs centraux du film est que la cathédrale reflète les états psychologique des personnages : le respect mélancolique d'Esmeralda, la culpabilité de Frollo, etc. Mais ces personnages auraient du se présenter d'une autre manière. Ils clashent avec le sérieux du film.

   L'épilogue du Bossu est un peu expéditif, également. Les parisiens se retournent contre la tyrannie de Frollo et, après sa mort, traitent Quasimodo en héros. Ce dernier sait qu'il s'est fait des amis pour la vie dans le couple heureux d'Esmeralda et Phébus, et bénit leur union. Si je trouve que ce n'est pas en soi une mauvaise morale, le changement de ton un peu rapide et la fin un peu précipitée donne aux dernières minutes un coté niais qui était relativement absent du film. La question de la sexualité des personnes handicapées reste en suspens : Esmeralda a bien de droit de préférer Phébus, mais Quasimodo trouvera-t-il un jour l'amour ? A leur décharge, c'est une question qui reste épineuse encore aujourd'hui. Je ne saurais pas comment la traiter, si j'avais à le faire.
   Je comprend la volonté des auteurs d'avoir voulu donner à leur jeune public une film heureuse et rassurante, plutôt que de faire mourir tous les personnages tragiquement. Mais, à mon avis, elle ne fonctionne pas. De façon générale, tous les reproches que j'ai à faire au film concernent les moments qui s'adressent le plus explicitement aux enfants. Entendons-nous bien : il est tout à fait noble de vouloir divertir les plus jeunes. En tant qu'enfant, je ne sais pas ce que j'aurais fait de mes journées sans tous les produits culturels que j'ai consommé, et qui ont développé mon imagination pour le meilleur. Il est par ailleurs possible de divertir petits et grands dans une même œuvre ; ça n'est pas incompatible - les bronies vous le diront.
    Mais les auteurs de ce film avaient de façon évidente autre chose en tête. Les moments les plus réussis, les plus profonds, les plus épiques sont ceux qui me sont totalement passés au dessus de la tête à huit ans. A vouloir plaire à trop de monde, ils sont tombés dans le piège de ne vraiment satisfaire personne. Mais rien ne garantit que le film aurait marché s'il s'était adressé uniquement aux adultes. De toute façon, le merchandising est, chez Disney, la principale stratégie de retour sur investissement.

   On peut signaler la musique du film, aussi. Sans être mauvaise, loin de là, on pourrait la qualifier de plus savante que dans d'autres productions. (Je manque de technique musicale pour dire exactement en quoi, les mélomanes pourront peut être m'aider.) Stephen Schwartz, le pape de Broadway, et Alan Menken, signent des chansons assez difficiles à retenir et à fredonner après une première écoute. Ça peut expliquer que le film manque d'un des principaux ressorts du capital sympathie de Disney. Si vous n'avez pas vécu dans une grotte et que vous avez entendu comme moi à peu près dix mille interprétations de Let It Go après sa sortie, vous voyez de quoi je parle. Menken avait proposé des ritournelles beaucoup plus accrocheuses dans La petite sirène et Pocahontas, mais cette fois, il a clairement choisi une autre approche, plus intellectuelle.

   En résumé, Le Bossu de Notre-Dame est un film que je vous conseille vivement de redécouvrir à l'âge adulte, si ce n'est déjà fait. Je pensais que j'aurais moins de choses à dire sur un film que j'ai aimé, et me voilà a avoir pondu plus de 5 pages sur la sexualité des personnages de dessin animé. J'espère que vous me pardonnerez.

Un dernier grain de sel
  Direction artistique 3/4
  Histoire 3/4
  Personnages 3.5/4
  Humour 2/4
  Accessibilité pour le jeune public 1.5/4
     Total 2.6/4

jeudi 27 août 2015

Boyhood - critique cinématographique

Richard Linklater, 2014
[Critique datant de juillet 2014]


L’histoire
   Boyhood retrace la vie d’un jeune garçon américain, Mason Jr, de ses 6 à 18 ans. Au programme : les déménagements, la vie amoureuse chaotique de sa mère, les visites de son père, les premières expériences. Entre ses quelques intrigues simples s’intercalent des moments plus contemplatifs, et le film est moins mu par l’action que par le sentiment du  temps qui passe.
   La grande originalité de Boyhood est qu’il a été tourné en temps réel, entre le début des années 2000 et aujourd’hui. Chose quasiment inédite au cinéma, on peut donc observer les évolutions physiques du jeune acteur Ellar Coltrane ainsi que de son entourage, notamment ses parents, interprétés par Ethan Hawke et Patricia Arquette.

Mon humble opinion 
   Partie voir Boyhood avec un apriori positif, je ne peux pas dire que j’ai complètement été séduite par le petit dernier de Richard Linklater.
 
   Je connaissais ce dernier pour avoir vue la trilogie des Before : Before Sunrise (1994), Before Sunset (2004) et Before Midnight (2013). Les trois films retracent étapes d’une histoire d’amour entre deux personnages interprétés par Ethan Hawke et Julie Delpy. Ils se déroulent chacun en l’espace de quelques heures. J’avais trouvé ces films assez sympathiques, même si on pouvait leur reprocher le coté un peu trop sentimental, et des personnages parfois antipatiques. Comme on peut le voir, Linklater est un habitué des films conceptuels parlant du temps qui passe, et il entretient avec plaisir une « famille de cinéma » - Ethan Hawke est au générique de neuf de ses films. 
   Il faut reconnaître à Boyhood qu’il exerce une réelle fascination. Le vieillissement des acteurs, loin d’être un gadget, fait tout l’intérêt du film.
   Au cinéma, le vieillissement est souvent un peu raté. Il peut vous faire décrocher d’un film, même très abouti sous d’autres angles. Parfois l’acteur change aux différents âges, et la ressemblance n’est pas au rendez-vous. Chaque nouvelle incarnation nécessite alors une scène d’exposition, parfois balourde. D’autres fois l’acteur reste le même et le réalisateur doit s’en remettre au maquillage, ou aux effets spéciaux numériques, pour le transformer. Malheureusement, il est rare que le public soit convaincu. (Dans les films récents, je pense à Benjamin Button ou encore à J. Edgar. Avec pourtant de très bons acteurs dans les rôles principaux, ils avaient soulevé leur lot de commentaires déçus dans mon entourage.) Ici, pas de doute, ça fonctionne mieux.
   Mais le choix ambitieux de Linklater n’est pas seulement un écueil évité. A certains moments, j’ai ressenti une réelle émotion au visionnage du film. Il est difficile de ne pas faire des comparaisons avec soi-même ou ses proches au même âge que le personnage, ou de penser à l’évolution qui fût la notre durant les douze dernières années. Peu de films ont un telle puissance évocatrice, et pour cette raison Boyhood, en temps que film conceptuel, est un pari réussi. Il est également agréable de voir de jeunes acteurs interpréter des personnages de leur âge véritable, quand bien souvent le paysage cinématographique est envahi par les lycéens de 25 ans, qui n’ont pas la maladresse touchante de l’adolescence.

   En parallèle de l’expérience conceptuelle, Boyhood est également un film d’apprentissage. C’est un genre qui me touche facilement d'habitude, peut être parce que je suis encore un peu dans la tranche d’âge concernée.
   Malheureusement, cette trame narrative, bien que diffuse, ne m’a pas parue à la hauteur de l’ambition du film. La vie de Mason est largement romancée, et les figures qui gravitent autour de lui manquent souvent d’épaisseur psychologique et d’originalité. On a déjà vu cent fois au cinéma cette mère célibataire débordée mais profondément amoureuse de ses enfants, ce père absent mais cool, ce beau-père alcoolique et violent, ce beau-père alcoolique et antipathique. Il est possible que le réalisateur ait eu peur de perdre le spectateur à cause de sa narration non-conventionnelle, et ait voulu se reposer sur des figures familières. Mais le film fait tout de même deux heures quarante-cinq. La longue durée aurait permis une caractérisation plus subtile, d’autant plus que la performance des acteurs globalement bonne.
   Ici, on touche du doigt la différence entre sentimentalité et sentiments. Les humains sont des machines sentimentales complexes, et l'auteur qui veut les décrire sincèrement doit se lancer dans un gros travail d'observation et de retranscription, chez soi et chez les autres. Il y a matière à s'abîmer dans la contemplation des plus infimes détails émotionnels - c'est par exemple ce que Proust a fait, certes brillamment. Mais quand on a pas le temps, pas l'envie ou pas le talent, il y a toujours moyen de recourir à la sentimentalité : plutôt que d'injecter dans son œuvre des émotions véritablement ressenties, l'auteur utilise alors des clichés. Le public est entraîné a y réagir et a y insuffler l'émotion appropriée, même si fondamentalement ça ne repose pas sur de vraies expériences humaines. C'est pratique de temps en temps, mais si on utilise tout le temps, le produit final s'en trouve considérablement appauvri. (Les romans 'à l'eau de rose', par exemple, reposent exclusivement sur la sentimentalité.)
  
   Et ça, c'est vraiment dommage. L’artificialité des personnages et des situations entre en conflit avec le réalisme troublant du corps des acteurs. Je pense que le film aurait vraiment gagné à avoir une approche beaucoup plus documentaire de son sujet, et il n’en aurait été que plus émouvant. Au bout d’une heure et demie à peu près, la réaction émotionnelle s'amoindrit, et on se retrouve simplement face à une histoire assez rebattue. A force de vouloir écrire une histoire qui parle à tout le monde, Linklater aurait-il réussi à ne parler de personne ?
   Restent les petits clins d’œil aux différentes époques, qui permettent de remettre presque toutes les scènes dans un contexte historique très précis - les petites filles fan de Britney, l’élection d’Obama, les vidéos virales sur internet cette année-là. Il est difficile, cependant, de prédire si ces petites touches contribueront à bonifier le film avec le temps ou à le vieillir prématurément. Pour le moment, je dirais que ça fonctionne suffisamment bien. (Les fans de Medium parmi vous pourront retracer les coupes de cheveux de Patricia Arquette au cours des différentes saisons.)
   On peut aussi noter la photographie qui est assez jolie et qui suit de manière subtile les évolutions de la mode en la matière durant ces dernières années.

    Mon autre problème avec le film, c’est la fin.
   C’est là que ça devient un peu délicat. Mes conditions de visionnage n'ont pas été optimale, il se peut donc que je sois un peu trop sévère. J’avais lu sur la page Allo Ciné du film que Boyhood faisait dans les une heure quarante, et j’avais des choses assez importantes à faire directement en sortant du cinéma. Quand j’ai commencé à trouver le temps long et que je me suis rendue compte que le film aurait du se terminer depuis une demi-heure, je me suis mise à sautiller sur mon siège. J’ai trouvé que sur les vingt dernières minutes, quasiment chaque scène aurait pu être la dernière, et ça m’a d’autant plus agacée que j’étais pressée de sortir.
   Je pense quand même que le film est un poil trop long, et que les fins potentielles sont trop nombreuses. Tous les films n'ont pas besoin d'un gros climax hollywoodien, mais, même sans suivre religieusement le schéma actanciel classique, le travail sur le rythme n'est pas à réserver aux productions décérébrées. 
    En plus, j'ai trouvé que la dernière partie du film est la moins intéressante. Elle se concentre sur la première histoire d’amour de Mason - et sa première rupture. J’ai trouvé le personnage de la petite amie assez raté. De façon choquante à l’aire de l’information, je n’ai pas réussi à trouver l’âge de Zoe Graham qui interprète Sheena, mais je serais très étonnée de découvrir qu’elle a le même âge que son personnage. Elle détonne beaucoup, compte tenu du concept du film (et quand bien même elle aurait vraiment 16 à 18, elle reste un choix de casting discutable). Boyhood aurait beaucoup gagné, je pense, à abréger cette intrigue, d’autant plus que le personnage est assez antipathique.

   Il y a une dernière chose qui m’a un peu déçue, mais je suis prête à reconnaître que ça relève plutôt de la préférence personnelle. Mason a une sœur, d’un ou deux ans son aîné, d’ailleurs interprétée par Lorelei Linklater, la fille de. Comme les autres personnages, elle est assez caricaturale, particulièrement dans son adolescence (cheveux teints, attitude impertinente, etc). Je trouve dommage que le film, qui a profité de deux enfants acteurs, n’aie pas profité de l’occasion pour mettre en regard deux portraits différents, plutôt que d'en reléguer Linklater fille au rang de personnage secondaire. Ça me chagrine d’autant plus que ça m’aurait plu de voir une fille profiter d’autant d’attention qu’un garçon, le genre masculin restant encore aujourd’hui le choix par défaut au cinéma.

   Avec tout ça, je ne suis pas sûre de vous recommander Boyhood. (En tout cas, pas à toi, lecteur idéal qui a exactement mes goûts.) Je vous dirais bien de vous contenter de la première heure et demie, mais je comprend qu’on ait pas envie d'interrompre le film en plein milieu. Je suppose que votre expérience globale dépendra de votre résistance à la sentimentalité et aux rythmes un peu hésitants.

Computations

  Concept 3.5/4
  Histoire 2/4
  Personnages et rythme 1.5/4
  Interprétation  2.5/4
  Direction artistique 2.5/4
     Total 2.4/4

Dune - critique livresque

Frank Herbert, 1965, tome 1
[Critique datant de juillet 2014 et éditée avec l'aide bienveillante de Macros]

L'histoire
   Dans un futur lointain, humanité a conquis l'espace et vit sur différentes planètes, sous la tutelle du padishah Shaddam IV - ça ne s'invente pas. Dans une sorte de féodalité réinventée, de grandes familles ont autorité sur quelques unes de ces planètes, se livrant parfois à des luttes sans merci. La situation est d'autant plus compliquée que la Guilde contrôle impitoyablement le transport spatial, et qu'une compagnie commerciale, la CHOAM, règne toute puissante.
  Une planète est au centre de l'attention de tous : Arrakis, surnommée Dune, présente l'environnement le plus inhospitalier qui soit. Recouverte dans son intégralité d'un désert, l'humidité y est si rare que l'humanité a dû recourir aux méthodes les plus extrêmes pour survivre. Mais Dune est le seul endroit où l'on trouve l'épice, substance qui donne de précieux pouvoirs de prescience, et seule permet le transport spatial.
  L'histoire commence quand l'empereur décide de remplacer la famille règnant sur Dune en son nom. Aux barons Harkonnen, notoirement corrompus et déviants, succèdent les ducs Atréides, une dynastie guerrière dotée d'un code moral rigide. Paul, le protagoniste, est le fils du duc Léto Atréides. Doté d'une intelligence hors norme, et ayant reçu la meilleure éducation qui soit, il se retrouve au centre d'un complot fomenté par les Harkonnen. Paul se voit obligé de fuir dans le désert, accompagné de sa mère Jessica. Là, il rencontre les Fremen, un peuple fier et parfaitement adapté à son environnement, qui est à la recherche d'un messie.

Mon humble opinion
   C'est ma première confrontation avec le classique des classiques du space opéra. Pour tout vous dire, je ne sais pas trop si j'ai aimé ou pas.

  Il y a des choses qui m'ont beaucoup plu, en particulier la construction de l'univers. On entend beaucoup dire de ce roman qu'il est particulièrement complexe. Il est vrai que les premiers chapitres sont riches de beaucoup d'informations, données parfois abruptement. En ce qui me concerne, je suis de l'école qui trouve que ça contribue à rendre l'exposition assez naturelle. Après tout, les personnages, eux, savent de quoi ils parlent. C'est sans doute une question de goût, mais je préfère quand ça se passe dans ce sens-là. Passés les premiers chapitres où les bases sont assimilées, la lecture devient plus fluide, et j'ai eu beaucoup de plaisir à découvrir un univers dense et complexe. C'est une des choses qui rend le livre crédible, et à mon sens une des grandes réussites.
  J'ai particulièrement apprécié les stratégies de survie des fremen, et aussi les Bene Gesserit, une secte de femmes dont les sombres machinations ont des ramifications insoupçonnables. J'ai aussi bien aimé le travail de l'auteur autour des noms des personnages, certains très exotiques et d'autres bizarrement familiers. Au début ça fait un peu drôle, un mec qui s'appelle Duncan Idaho, mais à la longue je me suis dit que c'était une version crédible de l'évolution des patronymes.
   Une autre force du livre est son début assez palpitant. L'auteur à recours assez efficacement à un bon vieux truc. Au début de chaque chapitre, un court extrait d'une des biographies fictives consacrées ultérieurement à Paul nous révèle très rapidement que le duc Léto sera trahi et tué, et par qui. Mais ces péripéties prennent en réalité un bon tiers du roman. C'est un bon procédé pour mettre immédiatement du suspense et nous faire trembler pour des personnages auxquels on a pas forcément encore eu le temps de s'attacher, et ça donne un petit ton de tragédie qui n'est pas déplaisant. Ces textes participent aussi la construction de la légende attachée au personnage de Paul, mais de façon un peu moins percutante, à mon avis.

   Ce qui est dommage, à mon sens, c'est que la narration perd beaucoup en tension à partir de la mort de Léto. Le roman perd sa meilleure accroche et se concentre sur la destinée messianique de Paul, avec de rares apartés consacrés aux autres personnages. Non pas que ce soit une mauvaise intrigue en soi. La figure de l'élu, le trope de la prophétie, sont certes usés jusqu'à la corde, mais Dune est une itérations les plus intéressantes que j'en ai lues, grâce à l'intervention des Bene Gesserit.
   Non seulement ce sont elles qui ont implanté l'idée d'un sauveur futur dans la mystique de différentes cultures à travers l'univers, mais elles se sont activement consacrées, depuis des millénaires, à en fabriquer un - à l'aide de fortes doses de mariage sélectif et d'eugénisme.
   C'est un point particulièrement intéressant car souvent les personnages messianiques sont des métaphores christiques plus ou moins bien digérés, ce qui est, on s'en doute idéologiquement vachement chargé : l'humanité est en attente d'un sauveur, il faut que nous soyons prêts à bondir à son service quand il daignera se pointer parmi nous. (Ça veut pas dire que ça peut pas être bien traité. Dans le Seigneur des Anneaux y'a des figures christiques en pagaille et je ne m'en plains pas. Mais c'est pas neutre, comme truc.) Ici, au contraire, Herbert implique que le mythe religieux peut être un outil qui sert aux puissants à manipuler les masses, mais que ça n'a pas forcément que des conséquences négatives - du moins à ce stade du récit. C'est plutôt subtil et pas trop manichéen, ça me plait. Et ça subvertit un trope dont je suis un peu lassée, c'est pas plus mal.

  C'est aussi une des raisons pour laquelle je ferme les yeux sur un autre cliché aux implications assez inconfortables : 'le sauveur blanc'.
   On aurait raison de taxer Herbert d'un certain européocentrisme. L'ethnie de tous les personnages n'est pas précisée, mais il y a de fortes raisons de penser tous les nobles sont des blancs. Les rares descriptions physiques impliquent souvent des cheveux blonds ou roux, des yeux verts ou gris. Certes, certains patronymes semblent trahir des origines non-européennes chez les personnages secondaires, comme celui de Thufir Hawat ou du docteur Yueh. Mais vue la configuration particulière des patronymes dans le roman, ça n'est pas forcément une preuve. Et puis, un ou deux personnages, ça ne suffit pas à rendre compte de la diversité humaine.
   Cela dit, pour un roman écrit dans l'Amérique des années 60, ça pourrait être bien pire, et il convient de ne pas cracher dans la soupe. La culture fremen, centrale dans le roman, est lourdement influencée par les univers arabes et touaregs. La plupart des Fremen que l'on est amenés à connaître ne sont pas de pure souche, mais je trouve que les thèmes néo-colonialistes sont globalement subvertis, un peu pour la même raison que la métaphore christique est subvertie.

  Mais venons en à mes principales réserves.
  Si l'histoire et l'univers me plaisent, mais je trouve que la narration est bizarre. Ce qui est sûr, c'est que Herbert sort des canons (ou des carcans, selon votre opinion sur la question) de narration auxquels nous sommes habitués. D'accord, on retrouve les grandes étapes du récit, la structure en trois actes, le protagoniste, l'antagoniste, et tout. Mais le rythme de Dune est un peu déstabilisant pour qui, comme moi, s'est peut être un peu trop habituée à ce qui se fait aujourd'hui dans la littérature dite "de genre", qui souvent à un caractère assez formulatique - surtout si l’œuvre s'inscrit dans la catégorie "young adult".
   (En aparté sur le genre : j'assimile plus le space opera à de la fantasy qu'à de la SF. Surtout que dans Dune, l'humanité à renoncé à se servir des machines électroniques et des intelligences artificielles, leur technologie un caractère plutôt magique. Les intrigues de cour ont de plus une place importante.)
   Pour un pavé de 500 pages, c'est bizarre, mais certains moments paraissent un peu précipités. Je pense à la mort de Kynes, le planétologiste impérial vivant parmi les Fremen. Ce chapitre est, à mon sens, un des meilleurs du roman, aussi bien dans le style que dans la description des motivations du personnage. Pourtant, comme ce dernier a connu assez peu de développement préalable, la scène arrive un peu comme un cheveu sur la soupe, et on en vient à regretter de ne pas avoir plus connu ce type alors qu'auparavant on en avait pas grand chose à faire. C'est peut être voulu, mais tel que c'est fait ça me laisse un goût de trop ou trop peu. Idem pour la relation de Paul et Chani. J'ai eu du mal à m'attacher à eux en tant que couple, parce que ça nous tombe dessus un peu vite.
  D'autres intrigues au contraire ont beaucoup de développement, mais des résolutions assez précipitées ou décevantes. Je pense à la scène où Paul explique aux Fremen pourquoi il ne tuera pas Stilgar. L'auteur explique longuement pourquoi c'est ce que les Fremen attendent, et finalement, Paul réussit à les convaincre lors d'un discours assez bref convenu, qui ne nous enseigne rien sur personne et qui ne fait pas plus avancer l'histoire que si le sujet n'avait jamais été abordé.

  J'ai deux, trois problèmes avec Paul en tant que personnage, aussi.
  Pas tellement avec son coté surhomme, parce qu'il fallait bien un type en dehors du commun pour faire ce qu'il a fait et que ça change un peu du héros en proie au doute permanent et à la dépréciation de soi, qui est à la mode en ce moment. Je trouve également son pouvoir intéressant : c'est une bonne idée de faire de son intelligence géniale, renforcée par la présence de l'épice, un quasi-handicap. Les scènes de prescience fonctionnent bien. (Et puis ça change des "genies" qui apprennent la physique quantique en un après-midi.)
   Mais Paul lui-même n'est pas très attachant, je trouve. Non seulement tout lui vient très facilement, ce qui peut être un peu agaçant à la longue, mais il lui manque peut être un ou deux traits de caractère qui le singulariseraient, qui nous permettraient de nous identifier. Durant tout le livre, je me suis sentie plus proche de sa mère. Quelque part, même le baron Harkonnen est plus attachant, tout obèse, manipulateur et pédophile qu'il soit. (Un excellent méchant.)
   De plus, pour mettre en valeur son héros, l'auteur a recours à un truc assez malheureux que nous connaissons bien et qui ne manque jamais de me courir sur le haricot. Tous les personnages, à l'exception des méchants, adorent Paul, parfois au sens théologique, nous signalent, à intervalles réguliers à quel point, vraiment, ce type est formidable. Mais ça ne suffit pas à convaincre le lecteur, il faudrait que les actions de Paul parlent d'elles-mêmes, qu'il nous prouvent non seulement son intelligence et sa bravoure mais aussi son coté humain. Or, ce dernier a tendance à faire un peu défaut, chez Paul.

   Dune est le premier roman du Cycle de Dune, une heptalogie (oui, comme Harry Potter). Mais l'univers de Dune est encore étendu par les nombreux romans écrits notamment par Brian Herbert, le fils de. Ces livres ont la réputation de varier en qualité - ce qui est un euphémisme dans le cas de Brian, semble-t-il. Mais il est clair qu'à la lecture du premier volume, l'univers en a encore sous le coude, et un certain nombre de fils scénaristiques ne sont pas résolus.
   Je ne suis pas sûre de vouloir lire la suite, cependant. J'avoue que je suis un peu frustrée de ne pas savoir ce qui va se passer avec le conte Fenring, la princesse Irulan, Alia ou encore la fille de Feyd-Rautha. Mais j'avoue que vers les deux-tiers, les problèmes de narration dont j'ai parlé m'ont un peu fait tomber le livre des mains. Toi le courageux qui à lu jusque là, t'en penses quoi ? Je continue, ou pas ?

   Malgré tout, le livre à d'indéniables qualités dans les descriptions et dans l'atmosphère, et l'auteur parvient a donner à l'histoire un souffle très épique. Certaines problématiques sont très originales, notamment la dimension écologique dont j'ai peu parlé mais qui est importante, et novatrice compte tenu de l'époque de rédaction de Dune. Le style est parfois un peu ampoulé, mais je trouve que ça collait bien au genre et ça ne m'a pas dérangé plus que ça. Je le recommanderais à un bon lecteur qui a envie de se confronter à de la littérature de genre plus adulte.

Le froid jugement des nombres
  Histoire 3/4
  Univers 4/4
  Narration 2/4
  Personnages 2.5/4
  Style 2.5/4
     Total 2.8/4